[{"_id":"65880bfc87d1e31b31eb1e05","title":"sur une chaise","type":"richText","text_align":"justify","richtext":[{"children":[{"text":"je suis assis sur une chaise je regarde"}]},{"children":[{"text":"je suis assis sur une chaise je regarde le vélo par la fenêtre, la chaise en plastique, la table légèrement rouillée et tout cela se tient sans cesse entrebâillé dans le dehors, saisissable par la pluie, les "},{"text":"mauvaises","italic":true},{"text":" herbes qu’on aime, évidemment, je regarde cette friche, je ne lâche rien, j’ai froid, j’ouvre un certain espace en moi, il se met à pleuvoir, je dispose dans cet espace quelque chose du souvenir et j’allume la musique – je ne dis pas que je danse – je mets à nu mon espace, lui offre le souffle des êtres qui me sont chers, ce que je veux, ce que je réussirai si pour un jour ou deux je m’isole, je ne fuirai pas, je chéris le devenir c’est tout, le devenir-horizontal, dis-moi, quel plaisir de t’avoir vu dans la lumière du port l’autre matin, et quel désir de nous voir égaux après toutes ces soirées de ton absence, j’avais eu mal au ventre dans cette enfance, j’avais parlé à mon drap, j’avais poursuivi les autres au fond de mon lit, les versions possibles de ma vie enfouies là dans ces plissements légers, pourquoi aurais-tu mérité d’être, pour qui, tu n’étais pas un plouc, tu n’étais pas innocent non plus, j’ouvre un espace au centre mathématique de mon thorax et j’y dispose mes êtres chers qui ici vivent, qui s’ouvrent, qui croissent ici, et le vent qui se lève est un vent doux, celui peut-être, que je ne décrirai pas – mais chaud – de la mer à Marseille, mon identité se fait transitoire, elle naît de cette présence immense des autres en moi, que je comprends à mesure que grandit ma solitude physique, isolé aujourd’hui et pour quelques jours encore, ce que je dis, ce qu’il faut tenir, la compréhension que le temps et la marche que je poursuis le long de cette côte me donnent, j’ouvre encore mon espace et je commence"}]},{"children":[{"text":"je commence sensiblement à te comprendre, il suffit de ne pas penser à toi pour que tu grattes de plus en plus vivement ma peau : ta présence m’envahit alors que nous sommes à quelques milliers de kilomètres et peut-être que je capte quelque chose de la douleur qui t’a terrassé quand j’avais eu l’audace de naître et que tu avais eu la malhonnêteté de tomber gravement malade"}]},{"children":[{"text":"et de guérir pour m’offrir plus tard ce fragile amour"}]}],"publication_date":"2023-12-24T10:42:47.866Z","week":484,"pdf":"65880bf987d1e31b31eb1dff","createdAt":"2023-12-24T10:46:20.308Z","updatedAt":"2023-12-25T07:34:58.213Z","__v":0,"lexical_html":"","paragraphSpacing":true,"authors":[{"_id":"64261e005c1e804578cf1b6f","email":"","firstname":"Pierre-Paul","lastname":"Bianchi","texts":["64261e005c1e804578cf1b70","64261e005c1e804578cf1b72","6540ad3bee734eb029bd73c4","65880bfc87d1e31b31eb1e05"],"createdAt":"2023-03-30T23:40:48.419Z","updatedAt":"2023-12-24T10:47:15.832Z","fullname":"Pierre-Paul Bianchi","id":"64261e005c1e804578cf1b6f"}],"visible":true,"id":"65880bfc87d1e31b31eb1e05"},{"_id":"65880b7787d1e31b31eb1dc1","title":"Rivière vole","type":"richText","text_align":"justify","richtext":[{"children":[{"text":"Un bruit comme un chant, il dit quelque chose : une rumeur. C’est l’histoire d’une année, peut-être d’une odeur. Demain ? La fête. Demain, encore. C’est la rivière qui le dit. Le ciel est rose, léger, et coule l’horizon."}]},{"children":[{"text":"C’est revenir au pays d’enfant. L’origine : l’endroit depuis lequel. Un voyage sans carte d’embarquement. Un voyage en territoire ailleurs : les fêtes de fin d’année. Quand je ne sais plus le goût des rues, quand j’ai oublié jusqu’aux couleurs de la porte d’entrée, il suffit que Noël sonne et en une frappe tout apparait. Depuis mille ans je suis partie, en un clignement d’œil, comme depuis toujours : j’y suis. La maison. Là où le cœur bat, là où il se trouve. L’enceinte : faite de chair, de sang, et d’angoisse aussi. Il faut de la lumière. N’importe les sources. Elle allume vers la vue intérieure. On s’y dore, on s’y remplit en se regardant, on s’y remplit ensemble."}]},{"children":[{"text":"- Ta tante est passée chez le coiffeur, a dit ma mère.\n- Elle s’est fait couper les cheveux ? "}]},{"children":[{"text":"Couper, pas raser. "}]},{"children":[{"text":"Elle perdra ses cils, ses ongles. Comme l’autre fois. Quand elle a senti l’acide pousser en son corps et mordre. Jusqu’à la clouer au sol, l’y faire ramper, jusqu’à ce qu’elle cesse d’habiter ce corps, de n’en être plus que la locataire temporaire. Sur laquelle brûle cette peau, s’épluche cette peau."}]},{"children":[{"text":"Ta tante ; c’est un train direct pour l’été. La portière claque, j’ai faim de la visite, du soleil et puis des rires. La veille ma tante a ravivé sa couleur. Ça sent la permanente dans la cuisine, ma grand-mère prépare le déjeuner. Moi, j’agite la pièce, y anime des contes. C’est la salle de spectacle la plus prisée de tous les temps. "}]},{"children":[{"text":"Demain : les chansons dans la voiture et les chansons sur les sentiers, les chansons dans la file d’attente et au pique-nique. La dernière chanson qu’on relance, c’est un autre tour de rond-point, avant de quitter la ville. On arrêtait l’heure et on tenait le jour à distance. On nageait tranquilles. Parce qu’on avait tout notre temps. C’était ensemble un continent. "}]},{"children":[{"text":"- Ses cheveux ont recommencé à tomber, a dit ma mère. \n- Depuis longtemps ?\n- 8 jours. "}]},{"children":[{"text":"Il a beaucoup plu ces derniers temps. L’eau emporte les murs, les meubles, les chapeaux et les appareils photos, l’ivresse, peut-être. C’est la rivière qui le dit. "}]},{"children":[{"text":"Nous dinons trois ou quatre fois. Noël."}]},{"children":[{"text":"Pas ma tante, elle est couchée, avec sa nouvelle coupe. Nous trinquons, elle nous rejoint. Alors c’est bien, ensemble. Le gouter tire sur le soir et je suis au ciel, j’observe les lumières et ce n’est pas l’hiver. Les vents chauds disent la saison : universelle. "}]},{"children":[{"text":"Une année s’apprête à recommencer, encore. Sur combien de chaises à table ? À l’heure, nous serons en retard pour se dire : "}]},{"children":[{"text":"- Bonne année ! Et surtout : la santé !"}]},{"children":[{"text":"La rivière ne sera plus dans son lit, au ciel, en vol. 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Myope, à tout le moins, d’un brun tirant sur le bleuté – bizarre – une taupe avait dit l’autre, le grand qui zézayait. Les gosses firent cercle autour de l’animal et désirant l’examiner, le tordirent en tous sens et le démantibulèrent – chacun voulait sa part, son dû, et tirait sur une patte. Désarticulée, à présent (tout va toujours si vite), et délaissée par ses bourreaux, la bête gisait à terre au milieu des feuilles mortes. Elle respirait encore un peu, d’un fil, ou presque, au-delà semble-t-il de toute souffrance. Un chien qui passait là, courant devant son maître, la retourna de son museau.","type":"text","version":1}],"direction":"ltr","format":"justify","indent":0,"type":"paragraph","version":1},{"children":[{"detail":0,"format":0,"mode":"normal","style":"","text":"Quelle drôle de petite chose ! s’écria le vieillard (car c’était un vieillard) en voyant la bestiole. Quelle pauvre petite chose… Raide, les pattes démises, et ne respirant plus. 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Là, dans un fourré, à l’insu du vieillard (qui poursuivait sa route) – du chien, de la canne, des gamins du quartier – il vint grossir les rangs d’un étonnant charnier, où pourrissaient à ciel ouvert des dizaines de bêtes semblables.","type":"text","version":1}],"direction":"ltr","format":"justify","indent":0,"type":"paragraph","version":1},{"children":[{"detail":0,"format":0,"mode":"normal","style":"","text":"Fallait-il en déduire (à supposer toutefois qu’on en eût connaissance) qu’une telle succession de faits – absurde, gratuite, invraisemblable – s’était par le passé produite et reproduite, authentiquement, à l’insu des acteurs et du hasard (les gosses, le vieux, le chien, la canne) des dizaines et des dizaines, voire, des centaines de fois ?","type":"text","version":1}],"direction":"ltr","format":"justify","indent":0,"type":"paragraph","version":1},{"children":[{"detail":0,"format":0,"mode":"normal","style":"","text":"En outre, fallait-il en conclure qu’une telle aberration pourrait avoir licence de s’exercer encore, encore, et indéfiniment ? 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C’était une grosse bête molle, très lente – une fouine avait dit l’un – qui progressait comme à tâtons sur la terre noire, entre les feuilles des châtaigniers. Myope, à tout le moins, d’un brun tirant sur le bleuté – bizarre – une taupe avait dit l’autre, le grand qui zézayait. Les gosses firent cercle autour de l’animal et désirant l’examiner, le tordirent en tous sens et le démantibulèrent – chacun voulait sa part, son dû, et tirait sur une patte. Désarticulée, à présent (tout va toujours si vite), et délaissée par ses bourreaux, la bête gisait à terre au milieu des feuilles mortes. Elle respirait encore un peu, d’un fil, ou presque, au-delà semble-t-il de toute souffrance. Un chien qui passait là, courant devant son maître, la retourna de son museau.

Quelle drôle de petite chose ! s’écria le vieillard (car c’était un vieillard) en voyant la bestiole. Quelle pauvre petite chose… Raide, les pattes démises, et ne respirant plus. Sans trop savoir pourquoi, le vieillard mit un coup de canne dans la tête de l’animal, lequel incontinent se mit à dévaler la pente et chut en contrebas. Là, dans un fourré, à l’insu du vieillard (qui poursuivait sa route) – du chien, de la canne, des gamins du quartier – il vint grossir les rangs d’un étonnant charnier, où pourrissaient à ciel ouvert des dizaines de bêtes semblables.

Fallait-il en déduire (à supposer toutefois qu’on en eût connaissance) qu’une telle succession de faits – absurde, gratuite, invraisemblable – s’était par le passé produite et reproduite, authentiquement, à l’insu des acteurs et du hasard (les gosses, le vieux, le chien, la canne) des dizaines et des dizaines, voire, des centaines de fois ?

En outre, fallait-il en conclure qu’une telle aberration pourrait avoir licence de s’exercer encore, encore, et indéfiniment ? Qui permettait ? Qui mettrait fin à ce carnage ? Qui ?

","visible":true,"id":"657307ec9d27237545d83c52"},{"_id":"657306429d27237545d83bfa","title":"Langueur","type":"lexical","text_align":"left","lexical":{"root":{"type":"root","format":"","indent":0,"version":1,"children":[{"children":[{"detail":0,"format":0,"mode":"normal","style":"","text":"j’ai épuisé ma plume","type":"text","version":1},{"type":"linebreak","version":1},{"detail":0,"format":0,"mode":"normal","style":"","text":"jusqu’au bout de moi","type":"text","version":1},{"type":"linebreak","version":1},{"detail":0,"format":0,"mode":"normal","style":"","text":"jusqu’à plus rien","type":"text","version":1},{"type":"linebreak","version":1}],"direction":"ltr","format":"start","indent":0,"type":"paragraph","version":1},{"children":[{"detail":0,"format":0,"mode":"normal","style":"","text":"la gorge pleine de roches","type":"text","version":1},{"type":"linebreak","version":1},{"detail":0,"format":0,"mode":"normal","style":"","text":"ma voix s’étrangle","type":"text","version":1},{"type":"linebreak","version":1},{"detail":0,"format":0,"mode":"normal","style":"","text":"mes mains deviennent muettes ","type":"text","version":1}],"direction":"ltr","format":"start","indent":0,"type":"paragraph","version":1},{"children":[{"detail":0,"format":0,"mode":"normal","style":"","text":"je m’égare dans mes silences","type":"text","version":1}],"direction":"ltr","format":"start","indent":0,"type":"paragraph","version":1},{"children":[{"detail":0,"format":0,"mode":"normal","style":"","text":"***","type":"text","version":1}],"direction":null,"format":"start","indent":1,"type":"paragraph","version":1},{"children":[{"detail":0,"format":0,"mode":"normal","style":"","text":"j’erre dans des ailleurs","type":"text","version":1},{"type":"linebreak","version":1},{"detail":0,"format":0,"mode":"normal","style":"","text":"habite des espaces","type":"text","version":1},{"type":"linebreak","version":1},{"detail":0,"format":0,"mode":"normal","style":"","text":"qui ne m’appartiennent pas","type":"text","version":1}],"direction":"ltr","format":"start","indent":0,"type":"paragraph","version":1},{"children":[{"detail":0,"format":0,"mode":"normal","style":"","text":"j’incarne des chairs inconnues","type":"text","version":1},{"type":"linebreak","version":1},{"detail":0,"format":0,"mode":"normal","style":"","text":"respire une autre vie","type":"text","version":1},{"type":"linebreak","version":1},{"detail":0,"format":0,"mode":"normal","style":"","text":"me perds dans de nouveaux visages","type":"text","version":1}],"direction":"ltr","format":"start","indent":0,"type":"paragraph","version":1},{"children":[{"detail":0,"format":0,"mode":"normal","style":"","text":"je meurs une fois de plus","type":"text","version":1}],"direction":"ltr","format":"","indent":0,"type":"paragraph","version":1}],"direction":"ltr"}},"publication_date":"2023-12-17T12:00:48.000Z","week":483,"pdf":"657306419d27237545d83bf4","createdAt":"2023-12-08T12:04:18.916Z","updatedAt":"2023-12-17T16:41:10.151Z","__v":0,"lexical_html":"

j’ai épuisé ma plume
jusqu’au bout de moi
jusqu’à plus rien

la gorge pleine de roches
ma voix s’étrangle
mes mains deviennent muettes

je m’égare dans mes silences

***

j’erre dans des ailleurs
habite des espaces
qui ne m’appartiennent pas

j’incarne des chairs inconnues
respire une autre vie
me perds dans de nouveaux visages

je meurs une fois de plus

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Sa science a séché – le système a chuté
Il ne sera plus le soleil de la communauté
La lumière qu’il a promise n’a plus de rayon
Il réfléchit au point de se couper la tête
Joue le bouc émissaire
Il est devenu tout petit comme l’auriculaire
On le plie pour nettoyer l’oreille des révoltés
Il a épinglé sa cravate, sa chaise est vide
Il n’avale pas le verdict qui tombe
Les pensées bouillent dans son crâne
Il se retourne sur lui-même
Tourne casaque
Tape la main dans l’eau pour épousseter son visage
Attrape l’éponge qu’il a jetée autrefois
Pour essuyer ses vieux tableaux de gloire
Enlève ses masques
Son visage tombe nu
Il abandonne le cigare
Pour sucer ses dernières oranges

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Notre guide baragouine quelques mots d’allemand.
Xavier tient ma casquette.
C’est lui qui filmera.
Les gens normaux ne comprennent pas la haine.
Nous.
Nous aimons l’ériger en style de vie.
L’écrire dans la nuit.
Sur les murs.
La promouvoir.
La photographier.
La filmer.
Elle circule dans l’entre-soi des forums.
C’est là où se joue la réputation.
Et quelques fois.
Des idiots accordent quelque entretien à des journalistes.
C’est une vaine publicité la presse.
Nous préférons la discrétion.
Mais au détour d’une soirée arrosée.
Nous commettons cette erreur.
Elle s’était pointée sans prévenir.
Elle connaissait Xavier justement.
Les sujets de société, elle les faisait naviguer à travers des théories.
Qu’elle avait apprises durant ses études.
« Êtes-vous des révolutionnaires ?
De ces rares personnes capables de se battre pour des idéaux,
Dans un monde gangréné par la marchandise ? »
M’avait-elle demandé.
En jobardant comme la plupart des gens passés par l’université.
« Aucunement » que j’y avais dit.
« Les révolutionnaires n’existent plus.
Vous.
Nous.
Nous sommes tous socialisés au capitalisme.
La marchandise, c’est notre dialogue.
Une transaction matérialisée dans un journal.
Et puis vous savez.
L’idéal n’existe pas dans les combats.
C’est un instant d’adrénaline.
Voilà tout.
Nous ne changerons rien en nous battant dans les stades.
Si l’État nous craint.
C’est parce que nous faisons obstacle au spectacles sportifs sponsorisés.
Qui sont devenus des lieux de réseautage professionnels.
Plutôt que des passions.
Pour le reste, les combats dans les ruelles.
Dans les forêts.
Tout le monde s’en moque. »
Notre guide vient me parler.
Il m’invite au réglo.
Pas d’armes.
Pas de coups bas.
Nous le savons déjà.
Je rassure le type.
On se retrouve au pub pour débriefer que je lui balance.
Il s’éloigne.
Et nous tournons dans la rue.
En face.
Entre les barres d’immeubles gentrifiées.
Une clique de jeunes.
Une dizaine.
Lookés.
Nous sommes en infériorité.
Comme souvent.
« Ouha ! Ouha ! Les combattants sont là ! »
Notre cri de guerre retentit.
Notre victoire est écrasante.
Quel nihilisme !
Nous tapons la main des mecs.
Relevons deux d’entre eux.
Tout le monde en parlera.
Sur les forums spécialisés.
Les flics arrivent.
Quelqu’un les a appelés.
Un endroit où passer la soirée.
Et peut-être la nuit.
La Cellule.
Le prélude des emmerdes.

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De loin, j’aperçois mon père qui marche le dos légèrement courbé, l’air préoccupé, l’air triste. L’air veuf. Il porte dans sa main gauche un petit sac en tissu pour protéger l’urne, à bout de bras, comme si tu pesais très lourd. Depuis hier son visage a encore vieilli, et aux ridules de renoncement sur sa peau burinée je sais qu’il n’a pas dormi.

Je dis l’urne, mais c’est une simple boîte en carton.

Nous ne parlons pas de toi et tu restes pendue dans ta boîte au bout de son bras ballant, bien à l’étroit entre nos silences gênés. Soudain d’un geste vague mon père me montre de sa main libre l’endroit où tu reposeras désormais, à la suite des stèles bien alignées.

Dans ta simple boîte en carton.

Je regarde la tombe qui se trouve à côté de la tienne. C’est celle d’un enfant. Un enfant de cinq ans.

La tombe est décorée de galets colorés posés à même la terre brute.

Pour vous deux, pas de sépultures.

Mais je sais que quelque part, dans une chambre de la ville, posées négligemment sur la couverture de L’amie prodigieuse se trouvent encore tes boules quiès usées. Les aiguilles de ton réveil orange continuent de tourner. Personne n’a pensé à couper ton abonnement de téléphone. Les mains des agents de police sont restées gantées de blanc. Aucun avion n’a dessiné de mots dans le ciel. Le livre est toujours corné à la même page.

Comme un rite figé, un autel implicite, tous ces objets trop intimes et si vivants, témoins silencieux de ta dernière nuit de sommeil, regardent désormais avec leurs yeux macabres ce grand lit vide dont la place de gauche restera inoccupée. Seul le souvenir du bruit de ton crâne qui s’éclate contre les graviers, un bruit que je n’ai pourtant jamais entendu, continue de cohabiter avec les cendres de ta simple boîte en carton. C’est ce bruit sourd qui résonne dans la lumière du matin et qui vient combler les interstices entre nos silences coupables, brûlure sonore qui ricoche sur les galets colorés de la tombe d’à côté sans faire aucune vague.

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Tous les jours, à 14 heures, je gravis l’escalier.
Un palier, un couloir, une porte.
Un bureau tapissé de livres.
Une chaise, une table.
Stylos, livres, quelques biscuits dans une boîte en fer blanc, des morceaux de sucre épars, une tasse, une lampe, une bouilloire, des sachets de thé vert…
Et, profonde comme un tombeau, une poubelle.

Et puis, ma fille, ma fille unique.
Radieuse, comme toujours.
Dans les jardins de l’Alhambra, un soir attiédi de mai.
Photo de là-bas. Sur un mur.
Elle sera à mes côtés tout le temps de l’écriture, et au soir je la quitterai.

Mais demain elle sera là.
Dans mon antre, mon refuge, ma tanière.
Son ancienne chambre.
Puis je m’assois, mains empaumant mon visage, et me laisse regarder le dehors du monde :
Un chemin qui serpente et puis s’en va enlacer avec tendresse un petit lac.

Tous les après-midis un petit homme vouté, à la silhouette gauchie par le temps, y chemine, parcourant une lettre à la main…
Et moi, sur de vastes feuilles blanches, j’écris mon univers.
Ainsi chemine mon temps…
De semaines en semaines, de mois en mois depuis l’été.
Mais maintenant se sont amincis les jours, engraissées les nuits.
Pluie, vent, froidure sont venus camper.
Hier l’hiver s’est emmitouflé de neige
Et dans quelques semaines, des crocus en fleur envahiront le printemps.…

Cet après-midi le petit homme est déjà là.
Immobile.
Tout de blanc cerné.
Allongé dans la neige.
Escalier, chemin, je suis déjà penché sur lui.
Plus de pouls.
Le regard : dans l’indifférence…
À ses pieds une enveloppe.
Dessus, son nom, son adresse.
Je la retourne. Expéditeur : son nom, son adresse.
Une feuille glisse.
Blanche…
Blanche comme la neige.
Blanche comme mes nuits,
Blanche comme mes jours,
Blanche comme mon écriture,
Blanche, toi, ma fille…
Et je reste.
Las.
Mais le chemin, impatient, a repris sa marche…
Alors, face au ciel, Blanche, je crie ton nom !
Mais l’écho répond « Non ! »

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L’ardoise grise du hameau
Sous son couvercle de serrure
Enduit les poutres de son dos
D’une bienveillante courbure

La silhouette silencieuse
S’insinue entre les charpentes
Une corneille nébuleuse
Qui sent le muscle de la pente

Un arrosoir à chaque main
Sur la tête un plateau d’enclume
Et quand la fête bat son plein
Quelques rouleaux bleus de coutume

Le pied enserré dans des bottes
Fines et lacées à la cheville
En toute saison la bigote
Promène un squelette de fille

Le noir atteint le bout du col
Fermé en un goulot étroit
Sur un chignon de protocole
Dressé bien haut comme un beffroi

N’a fréquenté aucune ville
Aucun amant aucune mer
Mais tressé des liens immobiles
Avec les gens de cimetière

Parle une langue disparue
Avec gêne et parcimonie
Jamais écrite et jamais lue
Malgré les rides qui sourient

Cette énigme de géographe
Cette peau en fruit minéral
Révèle un vaisseau épitaphe
D’un siècle enfui le mémorial

Mais que sont là-bas devenues
Ces tombes en friche de village
Où sa main ne jardine plus
Que sous le sol anthropophage

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Il est difficile d’enlever les boutons, surtout lorsqu’ils sont à l’envers. Je ne suis pas né pour écrire mes passwords sur des post-it jaunes. Les crises ne font qu’un seul bonheur, mon sourire est une idée crevée. Je ne suis pas né pour être choisi en dernier, les secondes chances ne m’intéressent pas. Un océan sur un sac en plastique, les bouteilles d’eau me mettent mal à l’aise, j’enlève le robinet, je bois. "}]},{"children":[{"text":"Le futur simple est composé comme l’œil du brancardier, il tire des bombes nucléaires sur la lune, pour qu’il ne pense pas à la retraite et pour qu’il ne mange pas les restes des autres, pour qu’il ne supprime pas les dossiers souvenirs et pour qu’il ne reste pas au lit, pour qu’il boive du café sans sucre et pour qu’il pousse, il est payé pour pousser la charrette. Combien ?"}]},{"children":[{"text":"Je ne suis pas né pour avoir une bonne note en maths. Mon cerveau aux enchères, demain j’achèterai trois autoroutes, mon compte bancaire ne respecte pas le code de la route. Je ne suis pas né pour placer des échelles en bois, le gout est mû, ma participation est nécessaire. Je ne suis pas né pour créer des grimaces avec mon visage, je le déteste, bientôt je le remplacerai par un organe convaincant. J’aime beaucoup ce que je propose."}]}],"publication_date":"2023-11-19T09:10:41.759Z","week":479,"pdf":"6559d3d0c0a703e9f17254c0","createdAt":"2023-11-19T09:22:25.787Z","updatedAt":"2023-11-22T11:15:11.811Z","__v":0,"visible":true,"authors":[{"_id":"64261e005c1e804578cf19a9","email":"","firstname":"Khalid ","lastname":"El Morabethi","texts":["64261e005c1e804578cf19aa","64261e005c1e804578cf19ac","64261e005c1e804578cf19af","64261e005c1e804578cf19b1","64261e005c1e804578cf19b3","64261e005c1e804578cf19b5","64261e005c1e804578cf19b7","64261e005c1e804578cf19b9","64261e005c1e804578cf19bb","64261e005c1e804578cf19bd","6559d3d1c0a703e9f17254c6"],"createdAt":"2023-03-30T23:40:48.402Z","updatedAt":"2023-11-19T20:09:29.874Z","fullname":"Khalid El Morabethi","id":"64261e005c1e804578cf19a9"}],"id":"6559d3d1c0a703e9f17254c6"},{"_id":"6559d39fc0a703e9f172549b","title":"Intestine","type":"richText","text_align":"left","richtext":[{"children":[{"text":"Je veux prendre soin de toi"}]},{"children":[{"text":"Mais parfois je ne sais pas"}]},{"children":[{"text":"Te dire les mots les plus beaux"}]},{"children":[{"text":"Et, au fond, enfouir les autres"}]},{"children":[{"text":"Les égorger"}]},{"children":[{"text":"Les emmurer"}]},{"children":[{"text":"Fermer ma gueule"}]},{"children":[{"text":"Quand elle ivraie"}]},{"children":[{"text":"Que l’amour feule"}]},{"children":[{"text":"Qu’il hurle le vrai"}]}],"publication_date":"2023-11-19T09:10:41.759Z","week":479,"pdf":"6559d39ec0a703e9f1725495","createdAt":"2023-11-19T09:21:35.270Z","updatedAt":"2023-11-19T20:10:28.084Z","__v":0,"authors":[{"_id":"64261e005c1e804578cf1eab","email":"","firstname":"Dorian","lastname":"Ysh","texts":["64261e005c1e804578cf1eac","64261e005c1e804578cf1eae","6448c94d224aee39dd15aa83","648d788fa6c35c2bf32551bb","6532773f553a5a0e897b565a","6559d39fc0a703e9f172549b","65c8d4311e85fb15308895bf"],"createdAt":"2023-03-30T23:40:48.457Z","updatedAt":"2024-02-11T14:07:40.228Z","fullname":"Dorian Ysh","id":"64261e005c1e804578cf1eab"}],"visible":true,"id":"6559d39fc0a703e9f172549b"}]

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