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"Dans les jardins de mon père..."
Quand les giboulées froidureuses1 de mars, renforçaient encore la légère croustille2 de gel qui blanchoyait3 la terre du jardin, j’ai cherché dans les plates-bandes lexicales de mes anciennes lectures, quelques vieux mots autrefois connus et qui sont morts, oubliés des professeurs, des poètes, et même des dictionnaires, dans l’indifférence générale. Aujourd’hui, ce soir, je voudrais les semer dans votre esprit pour qu’un instant au moins, ils retrouvent un peu de leur bel et bon usage d’antan.
Quand le temps s’abeausit4 au mitan d’avril, que le forsythia éclate subitement de rire, que les ciels pommelés5hésitent à prévoir la météo, c’est le mot : JARDINAGE qui me fait lever matin, sarcler, bêcher, niveler, semer, planter, suer pour de futurs repas partagés. En ratissant les feuilles mortes, édredons d’hiver pour les jeunes pousses de ma salade d’automne: valérianelle, ou clairette, doucette, blanchette ou blanchet, mâche ou rampon selon les cantons, j’ai pu cueillir, tout éplapourdi6, les rosaces fraîches rescapées des frimas.
Simplement penser, ou mieux, dire, au saut du lit : PRINTEMPS, c’est ragoûter7 de remembrance8 rassérénante9. Et si je pense FRAISE, aussitôt sa fragance10 enquinaude11 mes narines.
Mais la nature jardine mieux que moi : La grande marguerite des champs dont on ne sait jamais puisqu’elle signifie « perle » s’il s’agit d’une fleur au cœur d’or ou d’une femme attifée12 de braverie13 qu’on effeuille un peu, beaucoup, passionnément ou plus du tout, et qu’en cueillant le myosotis céruléen14, il ne me reste que le souvenir de l’antique amoureux évaltonné15 qui murmurait en polyglotte hésitant des « forget me not » (feguet mi not), des « vergiss mein nicht » et des « ne m'oubliez pas », compositions advocatives16 d’un cajoleur17 courantin18, floretant19, c’est-à-dire contant fleurette avant que le franglais ne se permette de le maquiller et de le modifier génétiquement sous la forme de flirter.
Les arbres m’ont confié leur plainte de ne plus feuillir20 en céladon21 avant que de fleurir en garance22 et de fructifier en nacarat23.
Endêvons24-nous, amoureux de langage, pour que les emberlucoqueurs25 d’anglicismes ignorantins cherchent d’abord dans nos jardins anciens des légumes délicieux, des fruits délectables, des fleurs admirables que le temps a fanés. Pourquoi tout ce bégaud26 gaspillage ?
Mais puisque je m’adresse à vos jeunes oreilles, je me dois d’expliquer en vos patois modernes ce que Littré, Larousse et Robert n’ont pas su ou pu retenir. C’est pourquoi ceux qui souhaitent quelques définitions explicatives peuvent me confier leur adresse électronique pour les recevoir dès demain.
J’ai inventé un nom que les dictionnaires bavards et pourtant atteints d’Alzheimer ignorent. Ainsi pour esquicher27 mes ignorances, aux questions verbiageuses28 de mes petits-enfants et de mes arrière-petits-enfants: « Comment s’appelle cette fleur ? Quel nom a ce légume ? Quel est ce fruit ? » je peux répondre avec une fermeté feinte : « C’est une flamourette. » N’est-ce pas un terme tout neuf, mais qui odore29 le vieux temps, un rappel de la chalance30 de mes printemps, de la vénusté31 de mes étés, de la sade32 opulence de mes automnes et de la mélancolie de mon hiver ?
Projets et souvenirs partagés ne sont que du langage.
Ce sont seulement les mots qui ensemencent nos futurs et qui récoltent nos passés.
Michel Bavaud